Les affiches de cinéma, tout un art ! (Épisode 1)
Outil promotionnel par excellence mais aussi parfois œuvre d’art à part entière, l’affiche de cinéma est partout, se déclinant sur tous supports et envahissant notre champs visuel au quotidien pour les plus urbains d’entre nous. Cela est vrai particulièrement en France où la publicité pour le cinéma est interdite à la télévision. L’affiche de cinéma joue donc un rôle publicitaire primordial. C’est pourquoi nous avions envie de réaliser une série d’articles autour de ce sujet passionnant.
Dans les prochains posts nous aborderons :
2 - Les thèmes graphiques ou la sémiologie des affiches 3 - Les déclinaisons d’affiches : variations sur le même thème 4 - Les graphistes et agences spécialisées célèbres 5 - Best-of des plus belles affiches selon nous
1 - LA COULEUR DANS LES AFFICHES DE FILMS
On observe depuis quelques années une tendance à l’uniformisation : aléas de la commercialisation à marche forcée, manque de prise de risque ou codification collective qui s’érigerait comme un dogme ? Nous nous garderons bien de répondre à ces questions. Il n’en reste pas moins que l’on peut dégager certaines tendances et discerner quelques pratiques courantes dans l’art de créer une affiche de cinéma. Bien sûr il subsiste de nombreuses exceptions mais voyons plutôt…
• La comédie opte pour le blanc ou les ciels bleus !
Si vous allez voir une comédie, il y a fort à parier que l’affiche soit sur fond blanc. C’est une manière d’apporter légèreté, simplicité et gaité. On comprend ainsi aisément que ce ne sera pas un film exigeant. La typographie quant à elle utilisera des couleurs vives (rose, rouge, vert, jaune…).
Un autre tendance consiste à appliquer un fond de ciel bleu, généralement sans nuage : autre manière d'exprimer la joie et la gaité. Les personnages rient ou sourient souvent, offrant des regards de complicité au spectateur. La typographie utilise des couleurs complémentaires comme l’orange ou le jaune.
• Le policier s'affiche en clair-obscur ou noir & blanc
Entre ombre et lumière et jeux de flou, l'ambiance est au clair-obscur : situation dans laquelle on ne distingue pas clairement le bien du mal pour souligner l’ambiguïté morale. Les affiches sont généralement dans des tonalités brunes, bleu foncé ou tout en noir et blanc ponctuées de rouge pour souligner la violence tangible.
• Thrillers et films d’horreur se parent d'un fond sombre fendu d’un rayon lumineux coloré
Déchirée par un rai de lumière vertical (reflet d’une arme, éclair, griffe d’animal, rayon spectral, déchirure…), l’affiche des thrillers présente souvent des ténèbres éclairées par des couleurs diaphanes ou lunaires : bleu, rouge, vert, brun… On en frissonne d’avance !
• Drames psychologiques et comédies dramatiques : 2 grandes tendances
Le drame psychologique est un genre qui semble plus hétérogène que les autres genres. Le noyau de ce genre hybride est généralement le couple, auquel on adjoint des colorations issues des autres genres (policier, comédie, action etc.) Mais on observe généralement des couleurs chaudes et mélangées pour les affiches américaines. Les tons bruns et orangés sont très courants même s’ils ne constituent pas le genre intrinsèquement.
Pour les affiches françaises ou européennes on notera un aspect plus réaliste, davantage "photo-vérité" avec un accent particulier porté sur le personnage principal. Des astuces graphiques tentent d’illustrer les tourments du personnage, de sa condition psychologique avec en arrière-plan des éléments du contexte dramatique dans lequel il évolue.
• Films indépendants : du jaune à tout prix !
On ignore les raisons précises de cette codification, probablement que ces "petits films" on besoin d'exister face à la pléthore des productions proposées chaque année sur les écrans. Toujours est-il que le jaune ou l’orangé semble être une couleur adoptée par le cinéma indépendant assez fréquemment.
Cette tendance est d'ailleurs souvent reprise sur les affiches des festivals de cinéma indépendant, comme quoi les festivaliers comprennent bien l'intérêt de cette codification et cherchent à toucher un public averti.
• Les films d’action nous brûlent les rétines avec du noir, des flammes et des explosions. Ça va chauffer !
Le film d'action, quand il n'utilise pas des guns à tout-va et autres protubérances un brin phalliques, cherche depuis quelques temps un peu de respectabilité en reprenant les codes du film noir ou policier. Fini les couleurs criardes comme on pouvait en voir dans les eighties et ninethies tels les films bourrés de testostérone à la Schwarzy, Stallone et autre Bruce Willis !
Place est maintenant faite à une nouvelle codification où les gros-bras apparaissent le plus souvent en noir et blanc savamment réhaussés de quelques flammes ou d'objets incandescents.
"Fumeuse" promesse d'un produit plus haut-de-gamme visant à attirer le spectateur pas particulièrement féru de films bourrins, ou réelle motivation à afficher un esthétisme plus dépouillé ? Toujours est-il que le film d'action a dorénavant changé de packaging. Voyez plutôt !
De la même manière, il arrive régulièrement que les distributeurs optent pour un code assez similaire à celui vu précédemment : le "noir et blanc plus titre rouge", pour des films plus variés. Notez toutefois qu'à défaut de flammes, il est probable que dans ce cas, une arme figure en bonne place sur le "packaging" pour que vous n'ayez aucun doute possible sur le contenu du "produit".
• Les films documentaires ou animaliers arborent fièrement le bleu !
La nature évidemment est dominée par le vert mais c’est plutôt du côté du bleu que la codification s’est tournée. Ambiance atmosphérique ou aquatique, ciels éclairés par une lune aux proportions gigantesques, rayons de lumière perçant les profondeurs des abysses, tout est bon pour maculer ces affiches d’un bleu profond nous invitant à pénétrer dans l’univers intime de nos chers congénères, si l’on veut bien accepter que nous soyons tous des eucaryotes.
Peut-on toujours parler d'originalité dans ces conditions ? Encore une fois la normalisation s'avère être un mal nécessaire à l'identification claire du sujet proposé.
• Du bleu et du orange pour les block-busters, encore et encore, mais pourquoi ?
Mélange de tons chauds et froids réputé pour être agréable à l'œil, couleurs complémentaires et contrastées, les bleus et oranges sont utilisés de manière systématique et parfois un peu paresseuse sur bon nombre d'affiches.
Cette tendance appelée orange and teal (orange et bleu canard) sévit depuis une vingtaine d'années et est considérée comme un fléau par certains réalisateurs comme Dan Seitz, à qui l'on doit le film Dévotion, qui se préoccupait déjà de cette tendance. Pour lui, c'était clairement une solution de facilité. Sur le spectre des couleurs, le bleu est à l'opposé du orange, on parle alors de couleurs complémentaires. Quand on les met côte à côte, ce sont elles qui ont le meilleur contraste et qui rendent le mieux à l'écran. Cette association de deux couleurs opposées permet également de rendre compte de concepts opposés comme le feu face à la glace, la terre face au ciel, le jour face à la la nuit etc.
En juin 2012, un informaticien canadien du nom de Vijay Pandurangan a téléchargé 35 000 affiches de 1914 à nos jours. Pour chaque année, il a compté le nombre total de pixels pour chaque couleur utilisée sur une année. Après normalisation et conversion en coordonnées HSL, il a généré le graphique ci-dessous.
De haut en bas (1914 -> 2012). On peut y voir clairement la part croissante des tons sombres qui correspond à l'arrivée des films de SF et des thrillers dans les années 60 et 70. On observe également en bas du graphique l'augmentation des tons verts et bleus, des couleurs qui tranchent avec les nuances chaudes très populaires au début du siècle. Cette tendance s'accentue encore davantage aujourd'hui.
• Black vs white, le high key et low key pour notre plus grand bonheur !
Le high key (terme emprunté à la photographie) est une image qui présente une forte prédominance des teintes claires, presque blanches sur lesquelles, seuls quelques reliefs ou détails plus foncés sont mis en évidence. Il offre une pureté et un dépouillement minimaliste que nous affectionnons tout particulièrement. On le retrouve souvent dans le thriller - on pense à la franchise Saw - mais on peut observer par exemple, sur l'affiche du teaser pour le film Blade II, que ce procédé peut également convenir à d'autres genres. Ici on s'est habillement servi du négatif de l'image pour obtenir l'effet souhaité.
Le low key quant à lui est sont exact opposé. C'est une image qui présente une prédominance des teintes foncées volontairement sous-exposées.
On retrouve parfois dans certaines campagnes de teasing la présence des 2 effets simultanément : une semaine le blanc, la semaine suivante le noir pour marquer l'opposition entre 2 personnages par exemple.
Ainsi, si l'affiche s'est imposée petit à petit comme un objet artistique en proposant parfois de véritables chefs-d'œuvre, elle reste aujourd'hui bien trop souvent cantonnée au statut d'outil promotionnel recyclant encore et toujours les mêmes recettes, particulièrement pour les films commerciaux dont la production est généralement plus soucieuse de rentabilité plutôt que d'ambition artistique.
Cet article ne peut évidemment pas prendre en compte toutes les exceptions qui infirment la "règle", mais a tenté de mettre en lumière certaines pratiques et tendances de colorisation arrivées notamment avec le traitement digital des films et de la communication visuelle qui les accompagne.
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Sources : Le Monde.fr - www.qualiquanti.com - www.impawards.com - Vijay Pandurangan Colours in movie posters - Tuxboard (blog) - Konbini (blog) - http://boxofficequant.com - cinematheque.fr - imdb.com - Wikipedia